Mesdames, Messieurs, bonjour. Je vous remercie pour cette présentation et pour l’opportunité de participer aujourd’hui à la réflexion sur le rôle de l’Amérique dans la prochaine ère de l’innovation financière.
À l’occasion d’une précédente intervention sur le leadership américain dans la révolution de la finance numérique, j’ai évoqué le « Project Crypto » comme notre initiative visant à harmoniser l’élan des innovateurs américains avec un cadre réglementaire à la hauteur de leurs ambitions. Je souhaite aujourd’hui exposer l’étape suivante de ce parcours. Cette démarche vise avant tout l’équité et le bon sens dans l’application des lois fédérales sur les valeurs mobilières aux crypto-actifs et aux opérations qui y sont associées.
Au cours des prochains mois, la Commission devrait examiner la création d’une taxonomie des tokens, fondée sur l’analyse historique du contrat d’investissement selon le test Howey, tout en reconnaissant les limites inhérentes à notre droit et à notre réglementation.
Mon propos s’appuie largement sur le travail fondateur mené par la Crypto Task Force, sous la direction de la Commissaire Hester Peirce. Cette dernière a posé les bases d’un cadre cohérent et transparent pour le traitement des crypto-actifs dans le respect des lois fédérales sur les valeurs mobilières, ancré dans la réalité économique et non dans la crainte ou les slogans. Je partage pleinement sa vision et tiens à saluer son engagement, sa rigueur et sa constance dans la défense de ces sujets au fil des années. Notre collaboration est ancienne et je me réjouis qu’elle ait accepté de relever ce défi.
Mon intervention se structurera autour de trois axes : d’abord, l’importance d’établir une taxonomie claire des tokens ; ensuite, la manière dont le test Howey s’applique en admettant que les contrats d’investissement ont vocation à prendre fin ; enfin, les conséquences pratiques pour les innovateurs, les intermédiaires et les investisseurs.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite rappeler que, pendant que nos équipes œuvrent à la rédaction d’amendements, je soutiens pleinement les initiatives du Congrès visant à inscrire dans la loi un cadre global pour le marché des crypto-actifs. Ma vision est cohérente avec les textes à l’étude au Congrès et entend compléter, sans remplacer, l’action essentielle du législateur. La Commissaire Peirce et moi-même avons fait de l’appui au Congrès une priorité et poursuivrons en ce sens.
J’ai eu plaisir à collaborer avec la présidente intérimaire Pham, et j’adresse tous mes vœux de réussite à Mike Selig, nommé par le Président Trump à la présidence de la CFTC, pour une confirmation rapide et sans accroc. Travaillant avec Mike depuis plusieurs mois, je sais que nous partageons la volonté d’accompagner le Congrès dans l’adoption rapide d’une législation non partisane sur la structure des marchés, afin qu’elle soit soumise au le Président Trump. Rien n’est plus efficace pour prémunir l’avenir contre l’arbitraire réglementaire qu’un texte législatif solide émanant du Congrès.
Pour satisfaire mes équipes conformité, voici la réserve d’usage : mes propos expriment ma position de Président et ne valent pas position officielle de mes collègues Commissaires ni de la Commission dans son ensemble.
Si la question « Les crypto-actifs sont-ils des valeurs mobilières ? » vous lasse, je vous comprends. Cette question est complexe, car « crypto-actif » n’a aucune définition légale dans le droit fédéral des valeurs mobilières. Ce terme relève d’une description technique — il indique un mode de tenue de registre et de transfert de valeur, mais ne renseigne ni sur les droits juridiques attachés à un instrument ni sur la réalité économique d’une opération, éléments pourtant essentiels pour déterminer la qualification de valeur mobilière.
Selon moi, la majorité des tokens échangés aujourd’hui ne constituent pas en tant que tels des valeurs mobilières. Bien entendu, il se peut qu’un token ait été cédé dans le cadre d’un contrat d’investissement lors d’une opération sur valeurs mobilières. Ce n’est en rien une déclaration radicale, mais l’application directe du droit. Les textes listent les instruments classiques (actions, billets, obligations) et ajoutent la catégorie ouverte de « contrat d’investissement », qui décrit une relation entre parties sans coller une étiquette indélébile à un objet. Cette notion n’est d’ailleurs pas définie par la loi.
Les contrats d’investissement peuvent être exécutés puis arriver à échéance. Leur existence n’est pas éternelle simplement parce que l’objet du contrat continue à s’échanger sur une blockchain.
Trop souvent, ces dernières années, certains ont affirmé que le passage d’un token par un contrat d’investissement en fait à jamais une valeur mobilière, allant jusqu’à supposer que chaque transaction ultérieure serait une opération sur valeurs mobilières. Cette lecture ne résiste ni au texte de la loi, ni à la jurisprudence, ni au bon sens.
Pendant ce temps, développeurs, plateformes, dépositaires et investisseurs naviguent dans le brouillard, privés de directives claires de la SEC mais confrontés à de nombreux obstacles. Ils voient des tokens servant de moyens de paiement, d’outils de gouvernance, d’objets de collection ou de clés d’accès, des modèles hybrides inclassables, et une approche qui, trop longtemps, a traité tous ces tokens comme des actions ordinaires.
Ce prisme n’est ni viable ni praticable, coûteux et sans réel avantage pour le marché ou les investisseurs, contraire au droit et favorisant la délocalisation des innovations. Si les États-Unis soumettent chaque innovation on-chain à un parcours réglementaire tortueux, ces innovations migreront vers des juridictions capables de distinguer les types d’actifs et de poser des règles à l’avance.
Nous allons donc agir en régulateur responsable : poser des lignes claires et les expliquer en des termes limpides.
Avant d’aborder l’application du droit aux tokens et aux opérations crypto, deux principes guident ma réflexion.
Primo, une action demeure une action qu’elle soit incarnée par un certificat papier, un compte DTCC ou un token sur une blockchain publique. Une obligation ne perd pas sa nature parce que ses paiements sont suivis par smart contract. Quelle que soit sa forme, la valeur mobilière reste une valeur mobilière — c’est la partie simple.
Secundo, la réalité économique prime sur les appellations. Qualifier un actif de « token » ou de « NFT » ne l’exonère pas des lois sur les valeurs mobilières s’il représente une créance sur les bénéfices d’une entreprise et s’accompagne de promesses fondées sur les efforts d’autrui. À l’inverse, le fait qu’un token ait été utilisé pour lever des fonds ne le transforme pas en action d’une société en exploitation.
Ces principes, loin d’être novateurs, sont ancrés dans la jurisprudence de la Cour suprême : il s’agit de privilégier la substance à la forme pour décider de l’application du droit des valeurs mobilières. Ce qui est inédit, c’est la rapidité de mutation des actifs sur ces marchés, qui exige de notre part réactivité et clarté pour répondre aux attentes du secteur.
Dans ce contexte, voici ma réflexion sur les principales catégories de crypto-actifs (liste non exhaustive), fruit de mois de tables rondes, de plus de cent réunions avec les acteurs du marché et de centaines de contributions publiques.
Si la plupart des crypto-actifs ne sont pas en eux-mêmes des valeurs mobilières, ils peuvent être associés à un contrat d’investissement, assortis de promesses ou d’engagements répondant au test Howey.
Ce test suppose un investissement d’argent dans une entreprise commune, avec une attente raisonnable de profits provenant des efforts de gestion d’autrui. Cette attente résulte des déclarations ou engagements explicites de l’émetteur sur la réalisation d’efforts de gestion essentiels.
Ces engagements doivent être clairs et non équivoques quant à la nature des efforts entrepris.
La question se pose alors : comment distinguer un crypto-actif non-valeur mobilière d’un contrat d’investissement ? La réponse est simple : l’émetteur exécute ses engagements, échoue à les remplir ou ceux-ci prennent fin.
Pour illustrer, au cœur des collines de Floride, sur des terres que je connais bien, William J. Howey constitua un empire d’agrumes. Au XXe siècle, il acquit plus de 60 000 acres pour y cultiver oranges et pamplemousses, vendant des parcelles à des investisseurs à qui il proposait de gérer la production et la commercialisation des fruits.
La Cour suprême a examiné ce montage et posé le test qui définit aujourd’hui le « contrat d’investissement ».[1] Mais aujourd’hui, le manoir de Howey, édifié en 1925 dans le comté de Lake, subsiste, tandis que les vergers ont laissé place à des resorts, golfs et quartiers résidentiels. Difficile d’y voir aujourd’hui une valeur mobilière, même si, pendant des années, le test Howey a été appliqué strictement à des actifs numériques ayant profondément évolué depuis leur lancement.
Le sol du manoir n’a jamais été une valeur mobilière : il l’est devenu par un arrangement, et a cessé de l’être une fois celui-ci échu. La terre, elle, n’a pas changé, tandis que les activités se sont métamorphosées.
Comme l’a justement relevé la Commissaire Peirce, le lancement d’un token peut initialement relever d’un contrat d’investissement, mais ces engagements ne sont pas éternels. Les réseaux mûrissent, le code est déployé, la gouvernance se diffuse, le rôle de l’émetteur s’efface. À terme, les détenteurs n’attendent plus d’efforts de gestion d’une équipe, et la plupart des tokens s’échangent sans que cela soit raisonnablement attendu. Un token n’est donc pas une valeur mobilière du seul fait qu’il l’a été à son lancement, tout comme un golf n’est pas une valeur mobilière parce qu’il fut jadis inclus dans un montage d’investissement agricole.
Une fois le contrat d’investissement exécuté ou arrivé à échéance, le token peut continuer à s’échanger, sans que ces échanges soient assimilés à des « transactions sur valeurs mobilières » au seul titre de leur origine.
Comme beaucoup ici le savent, je défends l’idée de « super-apps » permettant la conservation et l’échange de multiples classes d’actifs sous une licence unique. J’ai demandé à nos équipes d’élaborer des recommandations pour autoriser l’échange de tokens liés à un contrat d’investissement sur des plateformes non régulées par la SEC, notamment celles enregistrées à la CFTC ou auprès de régulateurs d’État. Si la collecte de capitaux doit rester sous le contrôle de la SEC, l’innovation et le choix des investisseurs ne doivent pas être bridés par l’obligation d’un environnement réglementaire unique.
Cela n’autorise en rien la fraude, ni ne diminue la vigilance de la Commission. Les dispositions anti-fraude restent applicables aux fausses déclarations lors de la cession d’un contrat d’investissement, même si l’actif sous-jacent n’est pas une valeur mobilière. Par ailleurs, pour les tokens relevant des matières premières numériques en commerce interétatique, la CFTC dispose également d’un pouvoir anti-fraude et anti-manipulation.
Il s’agit d’aligner les règles et la supervision sur la réalité : les contrats d’investissement ne sont pas éternels et les réseaux peuvent fonctionner de manière autonome.
Dans les prochains mois, et conformément aux textes à l’étude au Congrès, la Commission pourrait examiner un dispositif d’exemptions permettant d’instaurer un régime d’offre sur-mesure pour les crypto-actifs relevant d’un contrat d’investissement.
J’ai chargé nos équipes de soumettre des recommandations pour favoriser la collecte de capitaux et encourager l’innovation, tout en assurant la protection des investisseurs.
La simplification de ce processus permettra aux innovateurs blockchain de se concentrer sur le développement et l’engagement utilisateur, plutôt que sur la gestion de l’incertitude réglementaire. Cette dynamique favorisera un écosystème plus inclusif et dynamique, où les projets de petite taille ou à faibles ressources pourront expérimenter et se développer.
Nous poursuivrons le dialogue avec nos homologues de la CFTC, les régulateurs bancaires et le Congrès, afin d’assurer un encadrement adapté des crypto-actifs non-valeurs mobilières. Notre but n’est pas d’étendre la compétence de la SEC, mais de favoriser la collecte de capitaux tout en protégeant les investisseurs.
Nous restons à l’écoute. La Crypto Task Force et nos équipes ont déjà organisé plusieurs tables rondes et analysé un large corpus de contributions. D’autres retours seront nécessaires, qu’ils viennent des investisseurs, des développeurs soucieux de livrer leur code, ou des institutions financières traditionnelles désireuses d’accéder aux marchés on-chain sans enfreindre des règles pensées pour l’ère papier.
Enfin, comme indiqué, nous continuerons à soutenir l’effort du Congrès en faveur d’un cadre législatif solide pour la structure du marché. Si la Commission peut proposer une vision cohérente, seule une loi adaptée garantit la stabilité à long terme. C’est pourquoi je me félicite de l’objectif présidentiel visant à adopter une législation sur la structure du marché crypto d’ici la fin de l’année.
Précisons ce que ce cadre n’est pas : il ne s’agit nullement d’un assouplissement de la régulation par la SEC. La fraude demeure la fraude. Si la SEC protège contre la fraude sur les valeurs mobilières, d’autres autorités fédérales veillent à la lutte contre la criminalité financière. Mais si vous levez des fonds sur la promesse de créer un réseau puis vous évaporez, nous vous poursuivrons dans toute la mesure du droit.
Ce cadre est un gage d’intégrité et de clarté. À l’entrepreneur qui souhaite construire ici et accepte des règles claires, nous devons offrir mieux qu’une indifférence, une menace ou une assignation. À l’investisseur qui veut distinguer entre l’achat d’une action tokenisée et celui d’un objet de collection virtuel, nous devons apporter bien plus qu’un enchevêtrement de poursuites.
Plus encore, ce cadre marque l’humilité de la SEC sur sa portée. Le Congrès a conçu le droit des valeurs mobilières pour traiter des situations précises — celles où l’épargne repose sur la confiance dans l’honnêteté et la compétence de tiers. Ce n’est pas un instrument universel apte à réguler toute forme nouvelle de valeur numérique ou non.
Je conclurai en rappelant, comme l’a fait la Commissaire Peirce lors de son discours « New Paradigm » en mai dernier,[2] l’esprit du patriote américain qui, au péril de sa vie, défendit le principe selon lequel un peuple libre ne doit pas être soumis à l’arbitraire.
Heureusement, notre mission ne requiert pas de tels sacrifices. Mais le principe demeure : dans une société libre, les règles économiques doivent être claires, rationnelles et justement limitées. Étendre à l’excès le droit des valeurs mobilières, ou suspecter toute innovation a priori, c’est s’en écarter. Reconnaître les limites de notre autorité, admettre la fin des contrats d’investissement et la capacité des réseaux à exister par eux-mêmes, c’est lui rester fidèle.
Une approche équilibrée de la Commission ne décidera pas à elle seule du destin du marché ou d’un projet : cela relève du marché lui-même. Mais cela garantira que les États-Unis demeurent un terrain d’expérimentation, d’apprentissage, d’échec et de succès, sous des règles claires et équitables.
Voilà l’ambition du Project Crypto, celle que doit porter la Commission. Et c’est l’engagement que je prends devant vous aujourd’hui : nous ne laisserons pas la peur de l’avenir nous enfermer dans le passé. Et nous n’oublierons jamais que derrière chaque débat sur les tokens, il y a des personnes — entrepreneurs innovants, épargnants investissant pour leur avenir, citoyens aspirant à la prospérité. La Commission se doit de servir ces trois publics.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à disposition pour poursuivre ce dialogue dans les prochains mois.





